samedi 25 janvier 2014

LE SOUFFLE


 Mon île, mon parfum, ma magie, ritournelle aux doux refrains, ma douce fleur du vent, toi qui souffle et souffle encore, pose ton corps sur le bord de la fine courbe de la baie des crabes. Il est là, devant la pluie, le vent et la tempête. Le gamin t'attend dans la houle dressée, quand la marée remonte et te serre les chevilles dans ses mains de méduse folle. Le gamin t'attend mon île... ma merveilleuse, ma magnifique, faite de tous ces beaux gestes insensés, petits gestes de cadeaux, petits gestes généreux, toujours ta générosité, cette chaleur, cet amour qui te guide, même dans cette tempête tu chantes ta ritournelle et fait tomber le sucre des fleurs jusque sur le bout de ma langue. Mon île, ton souffle me fait rêver, et je passe de ce rêve au suivant, et au suivant, au suivant, et encore au suivant, à la vitesse de ton souffle, ce souffle que tu emportes avec toi dans le mouvement de dentelle de ta peau sur ta peau.


 "La colère est montée juste après. Il était là à courir derrière lui qui bondissait d'un rocher jusqu'à l'autre en scrutant le fond de la vague. Le chef de Clan me recevait. Je l'écoutais. Il lançait par moments sa palangrotte et la remontait avec un calmar au bout qu'il jetait sur l'herbe de la berge. L'animal asphyxié changeait de couleur et offrait un spectacle électrique, éclatant, avant de se fixer dans sa propre gelée. Le Chef de Clan parlait. "Ils nous ont abandonnés. Ils sont venus jusqu'ici, ils nous ont dit qu'il ne faut pas vivre tout nu, qu'il ne faut pas manger l'homme, qu'il n'y a qu'un seul Dieu, qu'il faut chanter ses louanges, qu'il faut prier. Ils nous ont appris les chants d'amour, les mots précieux, et puis un jour ils sont partis. Ils nous ont abandonnés avec nos églises et nos temples et nos prières. Et nous sommes perdus. Aujourd'hui nous sommes perdus. Qu'est-ce que nous allons faire?"
Et il avait crier "A demain" en me jetant les calmars comme un cadeau. C'est pour moi qu'il pêchait.
La colère est venue quand capitaine Sauvage a reposé ses yeux sur la mer. Le souffle du vent lui striait le visage des fils bleus et la pluie le griffait, fine et glacée. La colère montait en lui. L'arrogance du blanc, la stupidité de l'église, la misère des missionnaires. 

Il est parti, remontant le sentier jusqu'à la case qui l'abrite. Il a pris son sac presque vide, ses bottes et son ruban rouge, fin ruban rouge, qu'il noue sur le poignet pour garder la chaleur, la douce et immense chaleur qu'il a ressentie quand elle a posé les yeux sur lui. La femme dans la maison, tout au bord de la baie du chef de Clan. Cette femme. Cette jeune belle femme. C'est elle qu'il attendait. Quand leurs regards se sont croisés, ils ont été tous les deux foudroyés. Comme des gamins, foudroyés. Par cette chose qu'on ne pense jamais voir ou vivre un jour. Cette force qui vient on ne sait pas d'où, vous prend par le col, et vous soulève et vous projette en l'air comme ce fétu d'herbe que la tempête maltraite et assomme sur le tronc du cocotier. Elle est là. 

Et la tempête dans son esprit, sous ses cheveux.

"Je ne sais plus quoi faire". 
"Je ne sais plus ce que je fais".
"Je ne sais plus ce que je vois".
"Je ne sais plus ce que j'entends".

"Je ne peux plus rien faire qu'elle".



 A demain, après le souffle, après la rencontre, après l'autorité du Chef de Clan, après la tempête qui souffle sur la baie des crabes, après, toujours, après, demain, seul demain existe, seul demain, seul demain... mon île  aux contours que j'apprends à voir, au dessin qui vient lentement sous la plume du stylo sans réserve qui coule, coule, coule, liquide intrépide et sensuel qui trouble le fondement des mots.

A demain ma merveilleuse