Mon île aux bras de bois tendre, mon ciel où passe mon sang, ma vie où j'attends, d'ouvrir les yeux sur le pays invisible
Nous jouerons bientôt "Pacamambo", et le rêve prendra naissance dans la bouche des enfants.
Ils ont navigué la moitié de la nuit. Quand ils ont abandonné le comptoir
d’étain, chargé de verres transparents exhalant la vanille, le citron vert et
le sucre roux, mous animaux marins échoués sur le sable, ils ont enfilé les
vareuses er les bonnets de laine, et la goélette a discrètement largué les
amarres. Le violoniste a couché l’instrument dans son duvet, et l’a calé sur
son flan droit. Il l’aime son violon. C’est un amour sans interrogation. C’est
un dialogue, et l’amour du dialogue aveugle des doigts et des entrailles avec
la poussière magique des étoiles gelées dans la perfection voûtée des galaxies.
Quand il pose une phalange striée sur la corde … il la sent rouler jusqu’au cœur
de son âme. Elle miaule et son souffle murmure la plainte grave des phrases
impossibles qui galopent sur la crête des assauts d’émotion qu’il saisit de ses
mains. Viens. La musique arrive. L’étrave de l’archet ouvre la voie sur le sel
de l’entrée du port. Passée la digue, la chanson enfle et la houle se forme, les
voiles se tendent et la coque légère s’envole, ferme et droite, dans un
sourire. Il dort. Il a fermé les yeux et laisse Capitaine Sauvage barrer la
route de l’embarcation. Cap droit sur Isolella, ils flottent et flotteront
jusqu’ au lever du jour. Les lettres sont en sécurité dans la petite boite de
bronze. Il dort. Il a fermé les yeux et malgré lui la chanson se forme et se
reforme dans son esprit. Le rythme et les secousses de la mer qui respire donnent
aux harmonies l’élan d’une valse régulière. Il chante
Te voilà maintenant qui te penche
Mon tendre amour de fruits sauvages
Les griffes des buissons se tendent sur tes hanches
Nous ne voulons pas que la terre
Nous voulons les étoiles
Nous ne voulons pas qu’un moment
Nous voulons plusieurs vies
Mon bel envol mon mouvement
Ma belle épaule où tu suspends
Mes mots mes lettres et l’air du temps
Ma lèvre rouge où vient le vent
Nous ne voulons pas que les jours
Nous voulons tout l’espace
Nous ne voulons pas que l’amour
Nous voulons l’éternel
Je ne veux que tes yeux
Ouverts les cils immenses
Et l’univers étincelant
Qu’ils offrent en silence
Rien que ce doux murmure
Ce bras léger qui tremble
Rien que le poids de plume
Du doigt qui redécouvre
Nous ne voulons pas que nous aimer
Nous voulons fusionner
Nous ne voulons pas que nous manger
Nous voulons nous brûler
Pfffft comme une étoile
Le jour se lève. Mon île, ma merveilleuse, je vois la côte mauve de la Corse, je sens les eucalyptus exhaler la fleur de leur écorce fragile, je sens remuer sous mes pieds l'eau du golfe qui nous mène vers toi, je sens les fourmis de l'amour qui montent dans mes veines, je vais t'emmener dans le maquis, je vais te chanter les valses des arbouses, les chants des sirènes, le sang des oursins, la transparence d'Isolella.