samedi 15 août 2015

L'AERODROME ET LE BAGNE - BALADE MAIN DANS LA MAIN - LA FILLE ET LE BAGNARD

 Quand vous viendrez jusqu'ici, vous passerez par là.

Tu vois, il y aura cet avion, des gens comme ceux-là, et puis plus loin, cette fille. On ne la voit pas bien sur la photo, mais elle y est.



Hier en soirée, j'ai rencontré la plus belle surprise du séjour. Une troupe de théâtre en pleine constitution, familiale et avide de formation, de nouveauté, de savoir, et d'abreuver le public de Kunie de ses messages. Stage de formation prévu lundi soir. Dans la tribu de Kere. Un immense plaisir. Immense espoir aussi. Du coup, avec Guillaume, on était tellement contents qu'on a bu deux verres de vin blanc.



On a travaillé sur des thèmes et des situations, et les extraits que je te montre en font partie. Et celui-ci aussi...



EXTRAIT...

Depuis qu'il l'avait aperçue sur son vélo, il ne pensait plus qu'à elle. Il la voyait partout avec sa jupe verte et son tee-shirt à petits pois, avec son gilet beige. Elle appuyait sur les pédales comme si elle s'enfuyait. Comme si elle courait pour disparaitre, se cacher. Depuis, il trouvait chaque jour un prétexte pour retrouver l'aérodrome. 



C'était facile avec toutes les navettes qui circulaient toute la journée entre les hôtels et les gîtes des baies de l'île. Il y en avait toujours une qui le faisait monter pour l'emmener. "Tu vas encore là-bas? - Oui, je veux être pompier!". Et il s'enfermait dans son impatience et sa hâte de la revoir sur son vélo.



Il a trainé un jour longtemps devant ce paysage. Seul, sur la route, il attendait le passage d'un minibus. Il regardait la mer et les nuages et se posait toujours la même question: "Pourquoi les hommes font-ils tant d'histoires aux autres hommes? Il en avait tellement vu de ces querelles, de ces malentendus, de ces disputes à tous propos. Pourquoi fallait-il qu'ils entrent sans cesse en conflits, en rapports de force, en quête de pouvoir? Tous ces hommes de sa famille... Avec la mer il n'y a jamais d'histoire. Avec la lune et le soleil, non plus. Ni avec les étoiles".
"Et pourquoi tu vas tous les jours là-bas?" Le chauffeur est insistant aujourd'hui. "Tout le monde le connait ton petit secret. Tout le monde sait bien que tu lui cours après." - "Et alors, je l'aime et ça ne vous regarde pas. Qu'est-ce que ça peut vous faire ce que j'ai dans mon âme?" - "Tu lui as dit?" - "Je ne lui ai jamais parlé. Pas besoin, elle le sait. Et elle aussi elle m'aime." - "A votre âge vous ne devriez pas penser à ça." - "Tu veux que j'attende d'être comme toi? Que tout soit fini avant de commencer?" - "T'es qu'un sale petit voyou. Descends du camion, sale morveux! Allez dégage!"

Dans les vapeurs acides du pot d'échappement, il a hurlé: "Tu vas mourir idiot sale imbécile. Tu ne sauras jamais ce que c'est la vraie vie. Tu crois que je vais oublier que j'ai rencontré la moitié de moi-même, la moitié de mes yeux, la moitié de mes sens, la totalité de mes espérances, la certitude de l'avenir et de l'histoire de l'univers et du cosmos, l'infinie quiétude et la paix de ma course, l'exacte route dans un seul mouvement, La plus belle femme du monde. Va mourir sale adulte cupide et ignorant!!!!"


 Et dans un dernier chuchotement, il a ri en crachant: "Si tu crois que je vais me soumettre à vos espérances sèches et sans espace, alors qu'elle, elle m'ouvre les voies de l'âme des planètes?"



- "Cette fille en vélo... c'est toute ma vie qui passe".




Un autre a essayé de lui dire qu'il ne connaissait rien à l'amour. Qu'à son âge on ne peut pas comprendre. Qu'il ne peut pas être à ce point têtu et sécher l'école et s'enfuir de la tribu, et se cacher dans la brousse, simplement pour courir après cette fille. Et les parents vont finir par se fâcher. Et ça fera une querelle de plus. Et peut-être que ça finira mal cette dispute. Qu'il y aura des bagarres et peut-être des blessés. Que les femmes pousseront des cris pour arrêter la violence des hommes. Que les autres enfants iront se cacher derrière les maisons, sous les lits, en pleurant. Que les anciens se mettront au milieu, et qu'ils auront des crises, des crises de gouttes ou des crises cardiaques. Et qu'il faut qu'il aille travailler au champ pour préparer la terre où planter les ignames. Et qu'il doit le respect à son père, à ses oncles, à ses pépés...




- "Mais je l'aime c'est tout, et vous n'y changerez jamais rien, personne..."


- "Tu finiras en prison."




- "Ca ne changera rien. Vous ne pouvez pas m'empêcher de l'aimer."




Ils l'ont enfermé quelques jours, pendant les vacances d'automne. Tout autour de l'aérodrome, la petite fille pédalait de toutes ses forces, toute la journée. Et puis un jour elle a rangé son vélo, et elle est partie sur la route. Elle a couru de toutes ses forces, et s'est arrêtée devant ce paysage... Elle a réfléchi une heure ou peut-être un peu plus, et elle a pris la direction de Vao, ses petits poings serrés.


A SUIVRE...

 Et quand on fait des impros sur ce thème, quelle imagination les enfants...



Les vestiges du bagne, c'est un projet dont on parle avec Guillaume depuis deux ans. Le transformer en un lieu de spectacles. Peut-être un festival!

Belle balade non?


A demain...