mercredi 8 janvier 2014

MA DULCINEE



 A toi mon île, mon fruit, ma soif, ma rivière où vient mourir la berge, mon beau mouvement de la tête, mon champ d'été, mon printemps, mon volcan, ma douceur, ma fusion, mon étoile, ma galaxie, ma bataille...

Au tout début du mois d'octobre un frère de plateau, un frère de théâtre comme il aime s'appeler lui-même, Serge, rejouait pour la première fois depuis quelques temps son spectacle sur la bataille de Jean Vilar pour Chaillot. A la fin de son spectacle il m'a dédié un poème. C'est la première fois qu'un comédien me dédie un poème en public, et ce cadeau, car c'en est un, immense, m'a bouleversé. Et nous l'avons partagé, tous ensemble.



DON QUICHOTTE - NAZIM HIKMET

Le chevalier de l'éternelle jeunesse
Suivit, vers la cinquantaine,
La raison qui battait dans son coeur.
Il partit un beau matin de juillet
Pour conquérir le beau, le vrai et le juste.
Devant lui, c'était le monde
Avec ses géants absurdes et abjects
Et sous lui c'était la Rossinante
Triste et héroïque.

Je sais,
Une fois qu'on tombe dans cette passion
Et qu'on a au coeur un poids respectable
Il n'y a rien à faire, mon Don Quichotte, rien
Il faut se battre avec les moulins à vent.

Tu as raison,
Dulcinée est la plus belle femme du monde
Bien sûr qu'il fallait crier celà
A la figure des petits marchands de rien du tout
Bien sûr qu'ils devaient se jeter sur toi
Et te rouer de coups,
Mais tu es l'invincible chevalier de la soif
Tu continueras à vivre comme une flamme
Dans ta lourde coquille de fer
Et Dulcinée sera chaque jour plus belle.





Oui. Regarde-la. Elle dort. Elle a sur le visage une légère brume toute chargée de volupté. Sur les deux rives de sa bouche rouge qu’un léger trait fin souligne, un déséquilibre accentue l’expression d’un sourire. Si ce paysage aux couleurs douces est éclairé par les cils recourbés, ses paupières bleutées voilent à peine la certitude du sommeil. Elle dort. Elle dort ? Elle dort ou elle écoute son corps dormir ? Elle est toute étendue, ses mains sur sa poitrine, ses cheveux qui la protègent. Elle repose tendrement, sans peur, sans violence, sans attente. Elle sait qu’il est là, juste au-dessus du lit, dans le ciel et qu’il la regarde. Oui il la regarde dormir. Il murmure des mots qu’ils sont seuls à entendre. Il la veille comme on veille un trésor le soir qui précède la bataille. Il ne dormira pas. Il tente de capturer le temps pour que l’instant ne s’achève jamais. Il la regarde sa Dulcinée. Sa Dulcinée. Elle est là. Elle dort. Ne fallait-il donc vivre que pour ce moment-là, et la vie devient alors un vrai cadeau?
A demain