samedi 21 décembre 2013

TITRE PROVISOIRE - THEATRE PROVISOIRE


 
« Nous ne sommes pas des êtres isolés, toi et moi.
Nous sommes différentes fibres du même être.

Tu es moi et je suis toi.
C’est ainsi que nous devons être,
Chacun de nous doit être unique, chacun de nous doit être nous.
Tu me tends la main par-dessus le gouffre de la différence et tu touches ta propre âme. »       

Léonard Peltier


La goélette oscille faiblement sur l'eau paisible qui ne bouge plus. Les voiles affalées crissent doucement, faible murmure d'un oiseau blessé. Plus de vague, plus d'embrun. Le soleil a passé la ligne bleue de l'horizon depuis deux heures déjà. Capitaine Sauvage, à cheval sur la proue, les mains attachées à la drisse du foc, dort. Ses yeux frémissent parfois au son déchiré du clapotis que la coque décharge. Il dort. 

Les deux mains serrées autour des nageoires de la tortue verte, le gamin ouvre grand ses yeux dans l'eau. Dans le saut brutal, il a pensé comme en un éclair, "respirer", "respirer sous l'eau". Le museau souriant s'est retourné pour avaler la dernière goulée d'oxygène et elle a plongé. Elle évite soigneusement de remuer ses palmes auxquelles les deux mains du garçon s'accrochent. Elle se laisse descendre lentement vers le fond, variant sa direction, sa vitesse et la position de son corps, pour préserver le frêle gamin. Le fond de l'océan est encore loin. En apnée depuis l'immersion, il sent son diaphragme se secouer nerveusement. Les contractions le font souffrir. La tentative d'ouvrir la bouche le terrifie. Le cou de sa tortue s'étire et elle se tourne vers lui. "Laisse-toi aller" elle dit, "laisse-toi faire". Il ouvre la bouche comme s'il allait mourir, et l'eau s'engouffre sous la pression. Il avale en pleurant. Il hurle dans le silence de l'eau bleue. Et soudain la lumière l'envahit. La lucidité l'envahit. Il voit. Il voit avec ses yeux d'hier et ses yeux de l'instant. Il voit cette jeune belle femme tourner son visage blond vers lui, dans son gilet marron. Il sent ses reins le porter comme le cheval noir ailé, celui qu'il aime tant, celui qu'elle conduit inlassablement, qui ronronne quand il s'arrête, et qui prend tout le jour, toute la nuit, ses douces jambes, ses douces fesses dans ses mains comme une selle de velours. Il voit avec ses yeux de demain. Il voit comme il n'a jamais vu. Il voit comme il respire. Il voit toute la douceur qu'elle sème autour d'elle. Il voit les paillettes de ses yeux dans une gerbe de bulles blanches s'élever vers les étoiles. Il voit les étoiles posées sur le fond de sable blanc qu'ils atteignent. Il voit les mèches de ses cheveux entraver le regard amoureux de la tortue verte, et il comprend l'océan, il comprend l'espace et les galaxies, il comprend la vie, la mort. Il voit ce qui vient du dessous de l'amour: Kanumera.


 Sa joue repose sur la plage.

Où est passée la goélette?

Capitaine Sauvage?

Sa tortue verte?

Son ventre bouillonne d'une émotion qui retourne ses tripes. La peur? Où est-elle? Comme la nuit, vers 4h du matin quand il se réveille en criant "tu es là? Qu'est-ce qui t'arrive?".


La barque du pêcheur, petite noix de coco, glisse lentement vers lui.


A demain